Tom à la ferme de Xavier Dolan

tomalafermeL’homophobie aux trousses

Après Laurence Anyways un film d’une grande ampleur, sur plusieurs périodes, différents lieux, différentes atmosphères, qui faisait pleuvoir des vêtements de couleur, qui passait du drame à la joie, un film qui était tout en mouvement, en débordements variés de larmes, d’amour, de musiques, Xavier Dolan adapte une pièce de théâtre avec Tom à la ferme et semble proposer quelque chose de plus modeste. Un film resserré, une courte période de temps, peu de personnages, trois puis quatre, quasiment un seul lieu.
Pourtant dès les premiers plans, quand on voit Xavier Dolan, cheveux décolorés, perfecto, au volant de sa voiture, traverser un champ avec en BO les Moulins de mon cœur de Michel Legrand, chantée à capela, on sait qu’on retrouve le cinéaste, son côté effronté, son lyrisme, sa frontalité, son refus du cynisme. Il est là, présent, prêt à en découdre. Le personnage avec une terre hostile, le cinéaste avec le cinéma de genre et ses codes.
Il mêle son univers au thriller hitchcockien (cité plusieurs fois, la douche, le champ de maïs, etc.) voir au cinéma d’épouvante, sauf que dans ce film, le monstre ou le serial killer est un beau gosse fermier qui pourrait faire la couverture de Têtu.
Nous suivons l’histoire de Tom qui vient enterrer son compagnon et sera confronté à la violence homophobe du frère et le déni de la mère du défunt. Assez vite on comprend que cette mère et son fils sont mal vus par les voisins, que le passé est pesant, et une des forces du film n’est pas de fermer toutes les pistes qui s’ouvrent, de ne pas chercher à tout nous expliquer, comment ce père est mort, est-ce que cette mère était martyrisée ou violente, qu’a vécu le frère mort, etc. ce qui laisse la place à l’imaginaire et renforce le mystère de cet endroit et de cette famille.
La topographie des lieux est très travaillée, la maison, la ferme, les champs de culture, l’espace est ouvert, plat et en même temps la mise en scène nous donne l’impression qu’il est clos, refermé, l’espace est habité d’une violence rentrée alors que ça pourrait être bucolique, les feuilles de maïs deviennent des lames coupantes.
Le frère (Pierre-Yves Cardinal, très présent, un mélange de douceur et d’agressivité) est un personnage ambiguë, brutal, qui semble assumer d’être un homo refoulé et qui se présente comme garant de la tranquillité de la famille. Il paraît sûr de lui, il préserve un modèle, tant pis si pour ça, il doit user de ses poings. Et l’intelligence politique du film (qui était peut-être déjà contenue dans la pièce de théâtre) est là, le frère ne justifie pas sa violence par un discours directement homophobie, mais toujours pour ne pas déranger la vie de sa mère, pour sauver les apparences, pour protéger son petit univers, ça renvoie évidemment aux discours de ceux qui veulent défendre la nation, la tradition, la famille soi-disant sans aucune haine contre les personnes LGBTI alors qu’évidemment la haine est là, à vif. Et pour ce frère, la haine est aussi, comme ça arrive, contre ses propres désirs.
Il y aussi une idée de cinéma avec ce travail sur le genre. L’idée que ce genre de film est basé sur le fameux suspense à la Hitchcock et la surprise. Il montre que l’important n’est pas seulement la violence directe dans ce rapport de domination mais aussi ces deux éléments, le suspense et la surprise, l’attente du moment où les coups arrivent et le fait que ça peut arriver à tout moment alors qu’on ne s’y attend pas. Tom semble même tenté de provoquer cette violence parce que de savoir qu’elle peut être déclenchée pour le moindre faux pas crée une tension peut-être plus destructrice que les coups eux-mêmes. Comme pour ces discussions dans le film où on sent que ça va mal finir, où on sait qu’il va y avoir un mot de trop dit par Tom avant que ça n’explose mais sans qu’on sache quand. Comme dans cette belle et terrible scène du tango, qui paraît à la fois apaisée et chargée d’excitation sexuelle et de violence latente.
Le suspense est destructeur, c’est une des raisons du changement de format de l’écran dans le film. Un format plus proche de celui du téléfilm pour le quotidien réaliste glauque et étouffant. Puis les scènes où le héros est chassé, frappé, le format se resserre, se transforme en cinémascope, nous sommes dans les films d’action, la violence paraît irréelle, non inscrite, comme fantasmée.
Et pourtant elle est là, et le héros se retrouve couvert de bleu mais cela le plonge dans l’hébétude, surtout qu’elle semble répondre à l’idée qu’il se fait de lui-même (il écrit se haïr), une idée qu’il a intégré, qu’elle répond à un processus d’identification à l’agresseur et aussi tout un jeu de fascination mutuelle, le héros est comme fasciné par la violence qu’il reçoit avant de se rendre compte du risque réelle.
La force de ce film est de nous faire ressentir cette tension, de nous faire partager cette « excitation » du suspense, mais en nous affrontant à ce que cela signifie, en faisant cela, il nous associe au personnage principal, et le fait que Xavier Dolan le joue lui-même participe à cette impression d’être au plus près, d’être toujours avec lui, que c’est lui, quoiqu’il se passe qui est la victime, jamais le cinéaste ne le surplombe, de même il filme le frère et la mère sans les caricaturer.
Il y a aussi un beau travail sur le montage, sur les ellipses, la violence n’est pas toujours montrée, comme ce moment où il montre juste la scène ensuite, l’hématome sur l’œil de Tom. Pas besoin de s’appesantir sur l’acte, la violence est partout et pas seulement au moment où ça se passe, à partir du moment où le rapport de domination est là, il n’y a plus d’échappatoire.
Le film ainsi travaille des zones sombres, malaisantes et c’est le talent du cinéaste d’affronter le sujet sans jamais que ce soit complaisant même si quelques fois le film frôle l’exercice de style que ce petit jeu des interactions crée, quelques moments paraissent un peu trop écrit et théorique. Xavier Dolan prend même le risque de trouver un angle « ludique » avec par exemple l’arrivée de Sara qui se retrouve au milieu de cette imbroglio, s’en suivent des scènes presque drôles et pourtant dramatiques sans jamais que ce soit ironique ou ricanant, le fait qu’elle refuse de rentrer dans ce jeu, qu’elle affronte le frère violent par son assurance crée une respiration nécessaire dans ce film anxiogène et puissant.
Tom à la ferme de Xavier Dolan, Canada, 2014 avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roi, Evelyne Brochu…

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