Morceaux Choisis : Le Congrès

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L’oeil d’Hollywood

Avec son nouveau film, le réalisateur de Valse avec Bashir soulève une question essentielle à l’ère de la dématérialisation, des effets numériques et des blockbusters aseptisés : quelle place restera-t-il à l’émotion dans le cinéma de demain ? Et qu’elle soit posée par un réalisateur issu de l’animation a de quoi aiguiser notre curiosité cinéphile. Au début de ce Congrès, nous suivons Robin Wright dans son propre rôle d’actrice à la quarantaine bien entamée, écartelée entre une carrière moribonde et l’attention que requiert son fils atteint d’une maladie dégénérative. Son agent, Al (Harvey Kietel, brillant), lui expose froidement la situation : elle n’est plus jeune, elle n’est plus bankable à force d’avoir refusé des projets, et soit elle accepte sans moufter l’ultime proposition du studio Miramount – contraction savoureuse des bien réels Miramax et Paramount –, soit elle fait définitivement une croix sur sa carrière et son niveau de vie. La vérité nue, brutale, et s’il se permet de l’annoncer sans ménagement c’est qu’il est devenu au fil du temps un membre à part entière de la famille. Acculée, l’actrice accepte cet entretient de la dernière chance et se retrouve face à Jeff (Danny Huston), archétype de l’executive de studio hollywoodien. Ce dernier lui propose de se faire numériser contre une somme d’argent largement suffisante pour mettre sa famille à l’abri du besoin. En contrepartie, elle renonce à exercer son métier de comédienne, et laisse le studio gérer la carrière – et les retombées financières – de son double à la jeunesse éternelle ; le tout étant re-négociable au bout de 20 ans. Devant l’écran, le cinéphile a du mal à en croire ses oreilles… en moins d’une demi-heure, Folman vient non seulement d’aborder de front la douloureuse question du vieillissement des acteurs, mais aussi de tacler le vieux fantasme des studios de se débarrasser non seulement des acteurs et de leurs agents, mais aussi – en filigrane – de celui qui les dirige. En un mot, d’évacuer la moindre composante artistique et créative du processus cinématographique. Ouch.
De guerre lasse, Robin Wright accepte le deal et se retrouve vêtue d’un justaucorps blanc au centre d’une machine barbare tapissée d’appareils photos. Dans une cabine, hors champs, un directeur de la photographie prestigieux reconverti en simple technicien, est chargé d’enregistrer les émotions de l’actrice. Le personnage d’Harvey Kietel assiste à la scène, en simple spectateur. L’opération débute et le technicien scande les indications de jeu dans son micro : « souriez… riez… soyez triste… pleurez… ». Assommée par ce déferlement déshumanisé, coincée dans cette sphère aux milles yeux inquisiteurs, elle ne parvient pas à donner ce qu’on lui demande et menace de tout laisser tomber. Al prend alors le relais et évoque leur première rencontre, d’une voix douce et affectueuse. L’actrice sourit, la machine la photographie. Il enchaîne sur des souvenirs moins agréables, le jour où elle a appris la maladie de son fils. Nouveau plan sur l’actrice, qui est passée à la tristesse avant de fondre en larmes. La machine la photographie. Cette séquence est bouleversante. Le monologue d’Harvey Kietel touche par sa simplicité et sa sincérité, et de notre côté de l’écran, on ne peut s’empêcher d’inverser les rôles. L’actrice devient spectatrice, l’agent devient réalisateur, et le technicien et sa machine s’effacent progressivement devant la puissance de l’émotion suscitée. Ce que Ari Folman nous dit à ce moment-là, c’est que technicité et procédés ne devraient jamais se substituer à la raison d’être primitive du cinéma : nous faire ressentir des émotions à travers une histoire, qu’elle soit documentaire ou fictionnelle.
Nous en sommes à peine à la moitié du métrage, qu’on se demande déjà si on ne serait pas devant le film de l’année. Hélas, après une transition très réussi entre prises de vue réelle et animation – en sniffant une substance chimique, il fallait oser ! – Folman fait basculer Le Congrès de l’anticipation à la science fiction, sacrifiant les promesses évoquées plus haut au profit d’une soupe futuriste qui, quelle que soit la pertinence de son propos, ne parviendra jamais à effacer la frustration du spectateur. Pire, il se crée un réel déséquilibre entre les deux parties du film qu’on ne peut s’empêcher de mettre sur le dos du changement de procédé. Quel gâchis. Reste tout de même cette séquence magistrale qui, sans porter de jugement péremptoire, pose une vraie réflexion cinéphile sur l’avenir du septième art. Et on se dit que Robin Wright, qui n’a jamais été aussi belle, a accompli un sacré parcours depuis Santa Barbara !

Le Congrès (The Congress) de Ari Folman, EU-Israël-Pologne, 2013 avec Robin Wright, Harvey Kietel, Paul Giamatti, Jon Hamm…

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