Le Blues du critique (épisode 10)

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… Mais je me soigne.

Afin de rassurer les proches qui me croient au bord du suicide – et éviter de les voir débarouler chez moi pour une de ces interventions dont raffolent les américains –, j’ai décidé d’avancer la publication de cette suite directe à l’épisode 9 posté il y a quelques heures (et que vous trouverez ici). Rassurez-vous, tout va bien, le pire est derrière moi. La preuve : je me suis remis à écrire. Et si j’ai pu m’en sortir, c’est qu’il y a de l’espoir pour tous les cinéphiles victimes comme votre serviteur d’une méchante crise de foi.
Pour commencer, j’ai remis les séries télé à leur place. Entendons-nous bien : je n’ai rien contre les séries télé. C’est tout le contraire. Mais en y réfléchissant, c’est une aberration de les qualifier de « cinématographiques », comme de dire d’un film qu’il est « télévisuel ». Je trouve ça un tout petit peu insultant pour les uns et pour les autres. Au risque de me faire traiter d’intégriste psychorigide, la différence entre ce que produisent le cinéma et la télévision ne tient pas à une question de moyens, de technique, de personnes ou de forme. Les deux empruntent à des arts pré-existants – le théâtre, la littérature, la peinture – et partagent un langage mis en place par les pionniers du Septième Art. Non, pour moi, la seule différence qui compte, c’est la position du spectateur. Aller au cinéma, c’est sortir de chez soi, payer sa place, s’enfermer avec d’autres gens dans une salle obscure et accepter de mettre sa vie entre parenthèse le temps que dure ce que l’on est venu voir. Regarder un programme à la télévision est à la fois plus simple et beaucoup plus compliqué : il suffit de s’asseoir dans son canapé et d’appuyer sur la télécommande. On paye un minimum, pour avoir un minimum. Libre à vous de débourser plus que la redevance pour accéder à une multitude de chaînes, aux rediffusions à la demande, à la VOD ou aux films sur support physique. Mais quoi qu’il en soit, à l’inverse du cinéma, ce que vous regardez est tributaire de votre vie : le téléphone qui sonne, l’envie irrépressible d’une boisson fraîche ou la nécessité d’aller aux toilettes, autant de bonnes raisons d’appuyer sur la touche pause. Pour aller au bout de cette idée, lorsque je vois un épisode du Prisonnier projeté en salle dans le cadre d’un ciné-concert, c’est du cinéma. Lorsque je regarde Les Cheyennes de John Ford en DVD dans mon salon, c’est de la télévision.
Abordons le sujet sous un angle un peu moins théorique. La salle obscure procure des sensations et des émotions incomparables. J’en ai plein ma musette, depuis ma première et désastreuse expérience, Jo de Jean Girault, avec De Funès, vu à l’age de 6 ans et qui m’a tellement impressionné que j’en ai fait des cauchemars pendant des semaines, jusqu’au dernier Resnais, partagé comme un bon vin avec un ami cinéphage il y a quelques jours. Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, la salle de cinéma est un formidable lieu de partage, à condition de savoir se tenir pendant la projection 1. Voir un film au cinéma, c’est se plier à un rituel. Il y a l’avant séance, le moment magique où les lumières s’éteignent et où l’on se demande à quelle sauce le film va vous manger. Il y a le générique de fin qui vous ramène en douceur à la réalité – que celles et ceux qui sortent avant la dernière image aillent brûler en enfer 2. Et une fois rendus à la douleur du monde, le grand partage autour d’un demi en terrasse, ou simplement en s’en grillant une petite devant la sortie. Sans oublier les orgies pelliculaires à s’en faire saigner les rétines, comme feu la fête du cinéma (devenue, hélas, celle des multiplexes) ou, si vous en avez l’occasion, les festivals comme celui des Maudits Films de Grenoble que je ne raterai pour rien au monde tellement je m’y sens bien.
Alors, j’ai décidé de reprendre ma cinéphilie en main. Je me suis forcé à retourner en salle, jusqu’à tomber sur le film qui m’a furieusement donné envie d’écrire. Cela devrait être ma prochaine contribution à ce blog. J’ai réussi à vaincre mon addiction télévisuelle, après m’être infligé à la suite neuf épisodes de l’insupportable Person of Interest, sur les conseils de deux personnes qui n’ont pas fini d’en entendre parler. Pour pallier le manque, je me suis replongé dans le cinéma étasunien que j’adore, en revisitant la filmographie du génial Samuel Fuller, entrecoupée de classiques signés John Ford, Billy Wilder ou Blake Edwards. Un bonheur rendu possible grâce à la télévision, à ma collection de DVD et… au téléchargement. J’aime les Blu-ray et les DVD, comme j’aimais les Laserdiscs en leur temps. Mais je n’ai pas les moyens d’acheter tout ce qui me fait envie, sans parler des titres épuisés ou difficiles d’accès, comme China Gate de Sam Fuller qui n’existe qu’en import et sans le moindre sous-titre. Le téléchargement est pour moi un substitut aux cassettes vidéo que j’enregistrais à la télévision, ou que je faisais enregistrer par des amis câblés. Ou que je repiquais à droite et à gauche. Des pratiques illégales, mais dont on ne faisait pas tout un foin à l’époque.
Les vacances sont terminées, et la salle où je travaille ne programme plus le dernier Clavier. Je retrouve avec plaisir « mes » spectateurs, les habitués à qui je peux dire ce que je pense, et qui me remercient pour mon honnêteté. Je suis même près à pardonner leurs errances aux « occasionnels », et ça, c’est à Henri Langlois que je le dois. Pour la peine, je lui laisse le mot de la fin : « Nous avions un des meilleur public du monde, à Paris, en France. On est en train de le tuer. Vous savez, c’est très facile de tuer un public (…). Vous donnez des navets à des gens, ils perdent le goût de la qualité, et c’est fini »

Ces deux chroniques, un peu plus personnelles que d’habitude, sont dédiées à une poignée de gens qui, consciemment ou non, ont joué un rôle essentiel dans mon « retour aux affaires » : Baptiste, forcément. Laurent pour avoir partagé le dernier Resnais avec moi. L’autre Laurent, pour n’avoir pas ri une seule fois à Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu et l’avoir trouvé un peu raciste sur les bords. Messieurs Thoret et Bou pour leur indispensable émission Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert dont j’ai extrait la citation de maître Langlois. Et Samuel Fuller, en espérant que son White Dog qui ressort en salle le 28 mai soit projeté à Grenoble.

1 Quoique… J’adore inviter une certaine personne à voir des polars biens violents ou des films d’horreur, parce qu’avec elle, je sais que le spectacle sera autant dans la salle que sur l’écran.

2 Sauf si vous risquez de manquer le dernier tramway, ou en signe de protestation si le film vous a déplut...

 

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