Au fil de l’eau
Sous l’apparente simplicité d’Un amour de jeunesse se cachent des partis pris de cinéma précis et radicaux. Mia Hansen-Love nous raconte l’histoire d’une adolescente vivant un amour absolu avec ses allers-retours, ses croyances, ses déceptions sur une durée d’un peu moins de dix ans. Sur cette durée où pourtant normalement les corps changent, les acteurs ne sont pas vieillis artificiellement à part la coiffure et les vêtements, comme s’ils ne pouvaient pas bouger tel leur amour qui ne semble pas évoluer, cela crée une étrangeté troublante, la cinéaste partage cette vision du cinéma où la vérité n’est pas dans l’illustration plate de la réalité avec l’identification facile qu’elle provoque, par exemple le jeu des acteurs crée un décalage, ils cherchent une douceur, une juste tonalité plus qu’une sensation de réalisme, la justesse est dans ces corps bougeant dans une lumière magnifique (un des grands talents de Mia Hansen-Love) qui se rencontrent, se touchent, se déchirent.
C’est un film en mouvement, nous suivons les pas de cette adolescente avançant dans la vie avec une apparente détermination, Mia Hansen-Love mène cette histoire avec une élégante fluidité, elle coupe dans la séquence, dans le geste et raccorde de façon très discrète à la séquence ou au geste suivant, ce qui fait qu’on passe d’une scène à l’autre comme dans une coulée. Elle ne tourne pas des séquences qui nous expliqueraient où on est, quand on est, juste un panneau de signalisation ici, une date inscrite au tableau, là, une façon sobre et efficace d’éviter d’introduire une scène, nous sommes plongés dedans directement, un cours de lycée, un bar, le personnage faisant un travail alimentaire, etc. rien n’est dit, cela demande parfois un temps pour comprendre où on est et pour ensuite arrêter de chercher à comprendre et nous laisser emmener, pour être dans la sensation plutôt que dans le commentaire, nous sommes dans tel pays avec telle personne puis la séquence semble se poursuivre dans un autre pays avec d’autres personnes. Cela a dû demander un travail important de découpage, de construction pour arriver à ce mouvement qui ne se voit pas, tout se fait en douceur, et contrairement à ces deux précédents films (les très beaux Tout est pardonné et Le père de mes enfants), il n’y a pas de ruptures brusques qui découpent le film.
Mais cette mise en scène brillante serait vaine si elle ne servait pas un sujet d’une grande sensibilité, cette impression de mouvement est en opposition avec le sentiment d’amour de l’héroïne, ce sentiment amoureux qui ne peut disparaître, qui « ne passe pas » (malgré les tendres et inquiètes injonctions parentales), et c’est ce contraste entre cette énergie visible de cette adolescente devenant une femme, cette force en mouvement qui apprend, s’enrichit mais qui en même temps cache une émotivité qui reste bloquée, comme à l’arrêt, symbolisé par ces lieux de mémoires où elle repasse comme pour un éternel retour, qui est bouleversant. Lorsque l’héroïne se permet après avoir refait les mêmes gestes qu’avec son amant (mettre des pierres sur une serviette poser au bord d’une rivière a rarement été un geste aussi touchant) de se lancer dans le courant de l’eau comme dans le courant de la vie, dans l’acceptation que les choses changent, une émotion nous étreint, cette émotion cachée sous l’apparente simplicité d’un amour de jeunesse.
Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love, France, 2010, avec Lola Creton, Sebastian Urzendowsky, Magne Havard Brekke…