Critique de la critique : So film

Des films, peu de cinéma

L’arrivée d’une nouvelle revue critique ne peut qu’éveiller la curiosité de ceux qui pensent que le cinéma est sur l’écran mais aussi dans ce qui se dit sur lui, dans les débats qu’il provoque. Curiosité attisée par le fait qu’on retrouve en couverture des premiers numéros de cette revue, Léos Carax, Jean-Pierre Léaud ou Mickey Rourke, on se dit alors que nous sommes en bonne compagnie et que le cinéma défendu nous est proche. On comprend vite que l’angle choisi est de mettre en avant des francs-tireurs du cinéma, des personnalités à la marge, des artistes un peu barrés. Ainsi dans ce cinquième numéro, des entretiens assez enlevés avec Kôji Wakamatsu et Julie Delpy confirment ce choix critique.
Mettre en avant des rebelles, c’est plutôt une bonne idée si ça permet de dire quelque chose sur le cinéma. Le problème c’est qu’ici on parle surtout d’autres choses.
So film est dans le même esprit que So foot qui percevait le foot avant tout comme une culture et s’intéressait à ce qui tournait autour. Pourquoi pas, encore faut-il que ce soit solide, beaucoup d’articles manquent de consistance, on parle des métiers du cinéma plus que de cinéma proprement dit, un article sur des producteurs de série Z, un autre sur un décorateur, un article sur le scénariste Joe Eszterhas qui fait office de remplissage (huit pages de résumé d’un livre). Trois pages d’agenda people avec évidemment une certaine dérision un peu facile. Pour aborder le film Au-delà des collines de Cristian Mungiu, un reportage sur le fait divers qui a inspiré le film. Tous ces articles n’apportent pas grand chose, ressemblent à des articles qu’on pourrait lire dans une presse généraliste sans aspérité. On a l’impression que les rédacteurs se posent sans cesse la question de comment aborder un film d’une façon différente sans jamais se poser la question du pourquoi.
Mettre en avant des francs tireurs, ce doit être mettre en avant une façon d’envisager le cinéma en tant qu’art, ou en tant que choix politique, ici l’article sur Mickey Rourke est juste un regard sur un personnage pittoresque, sympathique mais il n’y a ni pensée sur le cinéma ni rien de transgressif.
Il faut arriver dans l’article sur Après Mai écrit par Emmanuel Burdeau, un ancien des Cahiers du cinéma pour qu’on se mette à parler plans, regard, avec un point de vue argumenté, qu’on soit d’accord ou non par ailleurs.
Malgré quelques articles provocateurs et d’autres amusants, on entre peu dans le vif de ce qui constitue le cinéma, c’est à dire des choix de mise en scène, une vision du monde, l’ensemble est finalement très dans l’air du temps, ça survole, ici et là, ça se présente comme rebelle et décalé, alors que ce ton rebelle et décalé, lorsqu’il ne s’appuie sur aucun point de vue, s’il ne prend pas partie, est finalement très conformiste.
Il suffit de quelques pages dans les Cahiers du cinéma de décembre 2012 (très en forme ces derniers temps) sur les tares d’un certain cinéma d’auteur pour voir ce qui est réellement rebelle aujourd’hui : assumer un point de vue qui peut être minoritaire, essayer de comprendre ce qui passe dans le cinéma contemporain, refuser de se plier à la pensée critique dominante (par exemple la glorification d’un cinéma de la maitrise, d’un cinéma qui écrase). Comme l’écrit Stéphane Delorme dans son édito : « on défend forcément un cinéma contre un autre… », il ne faut jamais cesser ce combat, ce qui est pour le coup éminemment politique.

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