Bilan 2014, des cadres et du mouvement

saintlaurent2

La fin de l’année est l’occasion de faire notre mini bilan et surtout de revenir sur des films dont on n’a pas parlés parce qu’au moment où on les a vus on n’avait pas envie, parce qu’on n’était pas d’humeur, parce qu’on avait d’autres projets et que de toute façon, on n’est pas payé pour ça, alors on fait ce qu’on peut.

Revenir donc sur quelques films.

D’abord Saint-Laurent ou comment Bertrand Bonello prend le genre très cadré du biopic pour le faire éclater et utilise cette déconstruction pour s’approcher de la vérité de quelqu’un, une vérité qui pourtant se dérobe.
À la différence de ces biopics qui présentent des hommes au destin glorieux et au caractère conquérant ou du moins particulier (à part évidemment le magnifique Van Gogh de Pialat), Yves Saint-Laurent est présenté comme absent au monde (c’est la force de Gaspard Ulliel de savoir incarner ce personnage fantomatique ne laissant qu’une empreinte), drogué, devenant une marque, un logo, plus qu’une personne, traversant une décennie importante de l’histoire sans s’en rendre compte, un personnage en creux, à côté de la plaque la plupart du temps.
Le dispositif théorique de la mise en scène est dans le morcellement avec flash-back, flash-forward, split-screen, scène qui semble détachée du reste, rêve, hallucination, lettre lue, dilatation du temps, et accélération, des changements de rythme fréquents, jusqu’à cette fragmentation de l’écran pour un défilé triomphant. Ce morcellement n’est pas une coquetterie, elle est le miroir d’un homme qui n’arrive pas à trouver son unité, qui n’a pas de consistance.
Comme souvent chez Bonello, ça pourrait être froid et intellectuel mais il y a un parfum de tristesse toujours présent, quelque chose qui ne rentre pas dans le dispositif, une douleur profonde de la difficulté à être. Du héros de De la guerre aux prostituées de l’Apollonide, de la Cindy (dans Cindy the doll is mine) à Yves Saint-Laurent, tous ces personnages essaient de trouver une raison de vivre, essaient d’échapper à une réification (avec l’idée que le cinéma c’est aussi se poser la question de la réification par le cinéaste). C’est symptomatique avec ces chiens appelés Moujik de 1 à 4, interchangeables, un film sur le narcissisme, sur le fait que de vivre uniquement dans les yeux des autres nous dévitalise, nous fait disparaître, nous transforme en pantin.

mummyOn retrouve dans Mommy de Xavier Dolan cette volonté de se confronter à un dispositif. Là il s’agit d’encadrer la vie ou de la laisser se développer, de savoir comment on se bat avec un cadre qui emprisonne, de travailler sur cette tension. Un adolescent hyperactif, violent, plein de vie mais ne supportant pas les limites qu’on lui donne face à une mère larguée, qui fait ce qu’elle peut mais n’y arrive plus. Tout le jeu du film est entre ces corps qui courent, se frappent, crient, pleurent, s’aiment, s’engueulent, se déchirent et comment ils habitent, occupent les plans.
Un film très théorique où bien sûr le cadre carré enserre les personnages, rend le face à face entre la mère et le fils étouffant.
Le début part étrangement sur une piste naturaliste, la travailleuse sociale, la nouvelle loi imaginaire et vite ça déborde de partout, rien ne retient la vie qui passe, circule, et l’arrivée de la voisine permet que toute cette énergie prenne de l’ampleur et se canalise dans le même mouvement. L’arrivée du tiers brise la dualité mortifère.
Ce qui est bien avec Xavier Dolan, c’est qu’il ne s’excuse pas, qu’il n’est pas modeste, il y va, fonce, et garde sa route, sa trajectoire est sûre, ça lui permet d’oser des choses naïves et puissantes dans leur naïveté, voir le héros courir avec son caddie au milieu de la route en criant liberté, et ouvrir le cadre ainsi, ça pourrait être casse-gueule, ridicule mais ça passe, jamais on se sent piégé par l’émotion que livre ce film, on n’est pas manipulé, tout est là devant nous, à vif. L’histoire est d’une grande simplicité, les lignes sont évidentes, il ne les cache pas.
Ce film nous insuffle son énergie vitale et donne envie d’envoyer valser les convenances. Ce n’est pas rien. Et si ça pouvait aider à renverser ce vieux monde, ce serait encore plus.

Deux autres films émergent cette année (répétons-le, parmi les films vus, il y a bien sûr des manques et des oublis) le Map to the stars de Cronenberg et sa rage réjouissante et sombre, et à son opposé Love is strange de Ira Sachs, qui après le beau et rugueux Keep the light on (qui s’approchait des films mumblecore), confirme son attachement aux palpitements du cœur. Soit un vieux couple dont le mariage va précipiter un déménagement, un film d’une grande élégance, aux plans d’une grande et belle simplicité, d’une émouvante douceur, avec une fin magnifique et bouleversante d’humanité.

love is strange

Une année sans choc majeur comme l’Inconnu du lac l’an passé peut-être, mais beaucoup de bons films, souvent basés sur des confrontations d’acteurs. La fougue des Combattants de Thomas Cailley révèle un cinéaste prometteur qui doit avoir plus confiance en son regard (la volonté de faire cinéma est une des limites de ce premier film) et à sa capacité à diriger des acteurs (Adèle Haenel, qui impose sa présence essentielle dans le cinéma français d’aujourd’hui face à un Kévin Azaïs touchant)
Olivier Assayas est aussi, mais on le savait déjà, un grand directeur d’acteur et d’actrice, ce que donnent Juliette Binoche et Kristen Stewart sous son regard dans Sils Maria est impressionnant, le film l’est aussi souvent avec de magnifiques plans dans les Alpes, avec parfois, c’est le défaut mignon d’Olivier Assayas, quelques moments trop explicatifs et surlignés.

On n’oubliera pas bien sûr Under the skin, Bird et leur proposition étrange. Le cinéma est travaillé par le fantastique, l’étrangeté, désire s’envoler, et c’est tant mieux. Ne le bridons surtout pas.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *