En route pour la joie
Kaboom est un mix de la pop-culture américaine, film de campus, film d’horreur, série B, série télé de Heroes aux rythme sitcomesque des dialogues, du pop-art de Warhol, une esthétique gay tendance kitsch, des emprunts à Lynch dans ces plans de vers ou de vomi, à Verhoeven pour ces visages américains lisses et propres, où à la littérature de Brett Easton Ellis ou de Jay McInerney.
Ce mélange transgenre donne l’impression d’un joyeux bordel pourtant l’ensemble est très maîtrisé avec un travail sur le son qui nous maintient dans un état d’étrangeté permanent, ces plans sur les fenêtres des immeubles, sur les pelouses du campus qui sont très beaux, l’auteur a aussi un grand sens du rythme et nous emmène avec excitation jusqu’à la fin.
C’est un film bâtard qui joue sur notre connaissance de cette culture américaine dominante, il y un travail impressionnant sur le retranchement, il n’y a plus besoin de faire vivre un lieu, on est dans l’épure totale du cadre, seulement des fonds colorés, un corps, une table pour créer l’illusion d’une cafétéria, quelques personnes qui s’agitent pour une fête, un long couloir puis un lit et un ordinateur pour une chambre universitaire, etc. nul besoin d’en montrer plus, ces lieux existent tellement dans l’imaginaire collectif à force d’avoir été vus que le spectateur peut créer le reste avec ses souvenirs, mais ces lieux finissent aussi par ne pas exister, nous sommes partout et nulle part à la fois, on pourrait penser qu’il existe un hors-champ, mais on devine que celui-ci n’est guère différent de ce que l’on voit, qu’on est dans la répétition du même, les effets spéciaux aussi sont des épures de ceux qu’on connait, de ceux qu’on a déjà vu.
La culture pop américaine a tout écrasé, le culte du cool aussi, il suffit de voir les horribles Juno ou Little Miss Sunshine pour s’en persuader, c’est peut-être cela la fin du monde, l’uniformisation du cinéma et par ce biais des comportements humains, ce n’est peut-être pas un hasard si à chaque réveil du héros, on a l’impression de voir la Terre dans ses yeux bleus.
Ainsi si les « méchants » sont les hétéros musclés soumis au patriarcat et à un ordre nouveau qu’on imagine plutôt ancien, Gregg Araki regarde ses héros avec une douce ironie, ils sont à distance de ce qu’ils voient, ils ne semblent pas présents au monde, on ne sait jamais vraiment quand ils sont défoncés ou quand ils ne le sont pas, ils sont déjà absents, comme englués dans cette univers pop.
Si certains y verront une ode à la jouissance sous toutes ces formes en attendant la fin, on peut y voir aussi une vision morbide d’une jeunesse américaine mutante transformée en zombies consommant le sexe comme on fait un bon repas dans un espace temps figé et anxiogène.
Tout est ouvert, tout est possible, au spectateur d’y projeter sa joie, son humour ou ses angoisses.
Kaboom de Gregg Araki, EU, 2010 avec Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida…