animation – en revenant du cinéma http://enrevenantducinema.fr Tue, 24 Apr 2018 20:15:36 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.8 Le Journal d’un Cinéphage – Épisode 2 (Février 2018) http://enrevenantducinema.fr/2018/03/02/journal-dun-cinephage-episode-2-fevrier-2018/ http://enrevenantducinema.fr/2018/03/02/journal-dun-cinephage-episode-2-fevrier-2018/#respond Fri, 02 Mar 2018 07:32:35 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2355

 

Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Au menu de cet épisode, une grande déception et un grand cri d’amour. Comment ça, « c’est tout ? ». Euh, j’avais prévu aussi de vous causer … Lire la suite...

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Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Au menu de cet épisode, une grande déception et un grand cri d’amour. Comment ça, « c’est tout ? ». Euh, j’avais prévu aussi de vous causer d’un livre et d’une série télé, mais ça attendra. Déjà, je me suis fait sermonner par mon coreligionnaire il y a deux semaines sur le mode : « Tu te rends compte qu’en rajoutant quelques bricoles par-ci, par-là, tu pouvais faire trois articles au lieu d’un ? ». Ensuite, si je ne me garde pas sous le coude des sujets « faciles et déconnectés de l’actualité » pour alimenter cette rubrique les mois de dèche cinématographique et/ou de flemme caractérisée, cette grande et belle aventure humaine risque de finir en eau de boudin. Allez, j’arrête de vous raconter ma vie – enfin, je dis ça –, en vous souhaitant une bonne lecture.

 

Cro Man, de Nick Park

Vous n’imaginez-pas à quel point je l’attendais, ce film. En 2015, Shaun le Mouton avait mis fin à une période catastrophique pour le département longs-métrages du studio anglais Aardman, et avec la manière s’il-vous-plaît. Dans la foulée, la mise en chantier de Cro Man s’annonçait sous les meilleurs auspices : le créateur surdoué de Wallace & Gromit aux manettes, des personnages originaux, un projet ambitieux… Non, vraiment, sur le papier, les aventures préhistoriques de Doug, l’homme de l’âge de pierre en pâte à modeler avaient tout pour plaire.

La séquence d’ouverture est géniale : un bout de générique sur fond noir qui fera vaciller la santé mentale de votre projectionniste, l’image à l’écran présentant les défauts caractéristiques de la pellicule. La terre apparaît, vue de l’espace, bientôt remplacée par un paysage volcanique en pleine activité et un combat titanesque entre un T. Rex et un tricératops – réalisé en stop-motion « vintage ». La caméra recule et nous montre une bataille rangée entre deux tribus d’hommes préhistoriques, quand soudain tout ce petit monde se fige en levant les yeux au ciel : une météorite surgit et vient percuter le sol dans une explosion atomique. Lorsque les cendres retombent, les primitifs survivants découvrent un étrange objet noir venu d’ailleurs. Un objet… de forme sphérique. Tout ce que j’aime chez Aardman se trouve résumé ici : la technique, déjà, qui atteint un niveau d’excellence proprement hallucinant. L’humilité, ensuite, parce que Nick Park sait d’où il vient et ce qu’il doit à ses prédécesseurs. La cinéphilie, enfin, avec la référence au classique des classiques en matière de mise en scène de la préhistoire – et non, je ne parle pas de La Guerre du Feu. Sans oublier l’indispensable touche d’humour so british : les sous titres de la séquence qui situent l’action près de Manchester, à l’heure du déjeuner, un cafard qui sort ses mini-lunettes de soleil pour admirer l’explosion nucléaire et le monolithe de Stanley Kubrick qui prend ici la forme… d’un ballon de football.

Le début du film n’est pas déplaisant, jusqu’à la chasse au lapin. Mais dès que les premiers enjeux dramatiques pointent le bout de leurs museaux de plasticine, c’est la douche froide. Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : on est loin des catastrophes industrielles qu’étaient Souris City et Mission Noël, et l’ensemble reste regardable. Mais bon sang de bois, qu’est-ce que ça manque d’ambition et de saveur ! Et quelle idée saugrenue d’utiliser le football pour illustrer le sempiternel combat du pot de terre contre le pot de fer. Franchement, le coup des amateurs-pas-bien-doués-mais-qui-jouent-unis contre des professionnels-ultra-forts-mais-tellement-individualistes, à notre époque du foot-business pourri jusqu’à la moelle par le fric et les enjeux de pouvoir, mais que c’est agaçant ! Au final, on se retrouve devant un produit déceptif, à peine un cran au dessus du très moyen Les Pirates ! Bons à rien et mauvais en tout. Reste la performance technique, toujours aussi impressionnante, mais ça ne suffit pas.

 

Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico, avec Vimala Pons, Diane Rouxel, Pauline Lorillard, Anaël Snoek et Mathilde Warnier

 

Cher monsieur Mandico,

Si je me m’adresse directement à vous, en plus de résoudre le problème qui m’enquiquine depuis le 13 de ce mois et que je résumerai par : « mais comment diable vais-je bien pouvoir retranscrire l’état dans lequel ce film m’a laissé ? », c’est pour vous remercier le plus sincèrement du monde des tortures cinéphiliques que vous m’infligez depuis que j’ai failli faire connaissance avec votre œuvre. Mais si, rappelez-vous, c’était à Grenoble, en 2016, pendant les Maudits Films.

À l’époque, je faisais partie de l’organisation du festival, soit le meilleur moyen pour transcender le simple plaisir de spectateur… et ne plus avoir le temps d’assister aux séances. J’étais donc coincé dans le hall qui jouxte notre belle salle Juliet Berto, à tenir boutique pour faire rentrer quelques sous dans les caisses de l’association. De l’autre côté de la porte – tout un symbole – avait lieu la projection de votre Hormona, dont les effluves sonores parvenaient jusqu’à mes chastes oreilles grâce à une isolation phonique approximative. Je n’avais d’yeux que pour l’affiche du film, punaisée juste en face moi. Plus la séance avançait, plus ma curiosité était mise à l’épreuve, jusqu’à ce que je n’y tienne plus. Lectrices, lecteurs, Bertrand – vous permettez que je vous appelle Bertrand ? –, je vais dévoiler ici l’un des secrets les mieux gardés de la Cinémathèque de Grenoble 1. Dans le mur commun avec la salle, à hauteur de regard warrenien – c’est à dire un tout petit peu en dessous de la moyenne – et à peine dissimulé au commun des mortels, il existe un genre d’œilleton permettant de voir ce qui se passe à l’écran. L’image est déformée, le verre teinté et la luminosité exécrable, mais combiné aux bribes sonores que j’évoquais plus haut, on devine vaguement où en est la projection. Tel un papillon de nuit irrésistiblement attiré par un lampadaire un soir d’été, je me suis retrouvé sans trop savoir comment l’œil rivé au minuscule orifice, dans la position délicieusement indécente du voyeur de peep-show, c’est à dire quelque part entre excitation et culpabilité. Pour être parfaitement honnête, je ne me souviens plus de ce que j’ai vu, ni même de combien de temps ça a duré. Ce dont je me rappelle par contre, c’est le violent retour à la réalité, cette voix dans mon dos qui a brisé la magie de l’instant par un tonitruant : « Alors, c’est bientôt fini ou j’ai le temps d’aller m’en griller une ? ».

Notre seconde rencontre s’est faite un peu plus tard, au cours d’une émission hors-les-murs de l’indispensable Mauvais Genre 2. Chez vous donc, dans tous les sens du terme, avec le charme incomparable du reportage radiophonique qui recrée les images au seul son de la voix. Et dieu sait qu’il y avait des choses passionnante à voir, dans votre antre, même si une bonne partie de vos références m’échappaient, mon parcours culturel étant celui d’un gentil garçon un peu trop sage. Vous me direz, tant mieux : avec tout ce qu’il me reste à découvrir, je ne risque pas de me lasser du septième art avant plusieurs vies. Un an après, la bande-annonce fantasmatique de vos Garçons sauvages enfonçait le clou. À défaut d’Hormona – ça serait bien qu’un éditeur se penche sur son cas, d’ailleurs –, j’ai fait l’acquisition de vos courts-métrages 3 que je savoure comme un grand cru, à petites gorgées. Boro in the Box m’a logiquement amené sur les traces de Walerian Borowczyk, au risque de me brouiller définitivement avec ma banquière 4. La boite de Pandore était ouverte, ma cinéphilie à jamais bousculée, condamnée à évoluer au sens cronenbergien du terme, c’est à dire à devenir plus organique, plus monstrueuse aussi, et foutrement plus ambiguë.

Lorsque nous nous sommes retrouvés dans la grande salle du cinéma le Club, ce 13 février, j’étais littéralement mort de trouille. Et si je m’étais trompé ? Et si mes espoirs étaient déçus ? Imaginons un instant que le film soit raté, comme le dernier Guy Maddin par exemple. Ou pire, que cela soit trop tard ? La cinéphilie, c’est un peu comme l’histoire : on n’évalue pleinement la puissance du moment présent qu’à la lumière du temps qui s’est écoulé. La première fois que je m’en suis rendu compte, avec le cinéma étasunien des années 90 que j’adore, j’ai été pris de panique. Ce recul nécessaire, rien ne dit que je l’aurai à nouveau. Les années s’accumulent et me rapprochent irrémédiablement du Grand Nulle Part, je vis dans l’angoisse permanente de passer à côté de quelque chose, d’un réalisateur, d’un mouvement, ce qui crée chez moi une sensation parfaitement irrationnelle de manque. Comme beaucoup de mes petits camarades, lorsque je suis confronté à de jeunes passionné-e-s de cinéma qui me renvoient immanquablement à celui que je fus, je cache cette fêlure sous une façade de certitudes et d’avis tranchés ; mais ne vous y trompez-pas, derrière le côté je-sais-tout se cache un genre de jalousie bienveillante et…

Et soudain, les lumières s’éteignent, l’écran s’illumine et nous voilà partis pour cette île qui sent l’huître et qui change les mauvais garçons en mauvaises filles. La magie opère instantanément, les doutes sont balayés, la rencontre se fait dans un rapport de parfaite égalité. C’est essentiel, ça, le rapport qui s’instaure entre le film et son public. Entre ces réalisateurs qui vous prennent de haut ou pire, ceux qui vous prennent pour un con en usant et abusant du plus petit dénominateur commun, rares sont ceux qui vous traitent en égal. Ici, le respect est total. La forme reprend ses droits, sans jamais se substituer au sujet ou à la narration. Le tournage sur pellicule, les effets réalisés sur le plateau, ces actrices délicieuses qui se travestissent, rien n’est de l’ordre de la pose, tout est au service du film et de son propos qu’on pourrait résumer simplement par : dans la vie, rien n’est vraiment figé.
Je pourrai sortir la bonne vieille trousse à outils du critique en mal d’inspiration pour disséquer votre film plan par plan, histoire de camoufler mes émotions, monsieur Mandico. Mais à quoi bon ? Devant vos Garçons sauvages, je suis redevenu ce môme qui ne manquait jamais l’occasion de voir un film à la télé, qui pensait naïvement que tous les américains portaient des Stetson et ressemblaient à John Wayne ou que Jean Marais avait vécu au temps des mousquetaires. J’étais sur la défensive, je m’étais préparé avec appréhension à être bousculé, et c’est tout l’inverse qui s’est produit : je me suis coulé dans votre film et, comme les étranges plantes animales et sensuelles qui peuplent l’île aux huîtres, j’ai fini par en faire partie, à ma manière. Et ce n’est pas terminé, loin s’en faut. Depuis le 13 février, j’attends avec une douloureuse impatience de pouvoir m’embarquer à nouveau sur le navire du Capitaine. Avec la musique du film en fond sonore, du matin au soir. Délicieuse torture, j’ai laissé mûrir ce texte depuis, repoussant chaque jour sa rédaction tant je redoutais l’exercice. J’en profite pour m’excuser platement auprès de nos lecteurs qui en attendaient peut-être autre chose. Mais que voulez-vous, c’est comme ça. J’espère seulement vous avoir donné envie de voir ce beau film, et qu’il vous touchera autant que moi.

Quant à vous, mon cher Bertrand, j’ai hâte que nos chemins se croisent à nouveau, au détour d’une salle obscure, d’un festival ou même d’un verre, tiens. En vous souhaitant d’ici-là bonne continuation.

 

1 S’il devait m’arriver malheur ces prochaines semaines, ne cherchez pas le coupable : c’est un coup du fantôme de Michel Warren, fondateur et grand ordonnateur de la Cinémathèque de Grenoble qui nous a quitté en 2015
2 L’appeau aux chimères : rencontre avec le cinéaste Bertrand Mandico, diffusée sur France Culture le 18 février 2017.
3 Mandico in the Box, chez Malavida (2 DVD).
4 Coffret Walerian Borowczyk, édité par Carlotta (8 DVD + 3 BRD gavés de bonus, plus deux livres).

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Le Journal d’un Cinéphage – Épisode 1 (Janvier 2018) http://enrevenantducinema.fr/2018/02/01/journal-dun-cinephage-episode-1-janvier-2018/ http://enrevenantducinema.fr/2018/02/01/journal-dun-cinephage-episode-1-janvier-2018/#respond Wed, 31 Jan 2018 23:47:56 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2321

 

Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Après vous avoir lâchement abandonné-e-s en plein milieu du bilan de l’année dernière, me voici de retour sur cet écran pour une énième tentative … Lire la suite...

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Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Après vous avoir lâchement abandonné-e-s en plein milieu du bilan de l’année dernière, me voici de retour sur cet écran pour une énième tentative de rubrique régulière. Au menu de ce Journal d’un Cinéphage 1, heu… rien de bien original en fait : trois chroniques de films vus dans le mois, en l’occurrence un qui m’a laissé froid, un autre qui m’a réchauffé le cœur et un dernier qui a fait ressurgir, à son corps défendant, de bien vilaines frustrations cinéphiles. Et pour finir en beauté, un peu de placement de produit en lien avec ma plus grosse attente pour un mois de février qui s’annonce foutrement hallucinatoire.

 

Last Flag Flying de Richard Linklater, avec Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne

Face à Last Flag Flying, deux cas de figure : soit vous avez vu La Dernière corvée (The Last Detail, 1973), soit non. Hélas, j’appartiens à la première catégorie, et impossible d’aborder le nouveau film de Richard Linklater autrement qu’en le comparant à celui d’Hal Ashby. Basés tous deux sur des romans de Darryl Ponicsan, on comprend aisément que le réalisateur de Boyhood ait été attiré par le projet : les deux livres proposent, à 44 ans d’intervalle, une variation sur le même thème, soit trois personnages façonnés par l’armée et la guerre qui traversent les états-unis, mais à des époques différentes ; et si les protagonistes de Last Flag… ne sont pas exactement les même que ceux de The Last Detail, ils leur font écho par leur caractérisation et les années de plus au compteur.
Premier agacement : Dans le film de 1973, pur produit du Nouvel Hollywood, Ashby proposait un contre-champs assez déroutant à la guerre du Vietnam. Le road-movie traversait une Amérique fantomatique, sans repères après la guerre idéologique totale entre conservateurs réactionnaires et utopies libertaires qui s’est cristallisée autour du conflit, laissant au final les deux camps moribonds. Pas très original pour l’époque, me direz-vous ; sauf qu’en empruntant le regard de trois militaires de carrière désabusés qu’on aurait toutes les peines du monde à rattacher à l’un ou l’autre camp, le réalisateur proposait un éclairage pour le moins original. Et plus le film avançait, plus on prenait conscience de l’étendue des dégâts, avec un sentiment désagréable de gâchis et d’impuissance. Las, le film de Linklater a toute les peines du monde à confronter ses personnage à autre chose que la grande supercherie de la chose militaire, qu’ils vont d’ailleurs finir par embrasser à nouveau après l’avoir rejetée viscéralement en revenant du Vietnam. Et si le spectateur ressent à nouveau une impression de gâchis, c’est parce que le réalisateur a choisi de laisser hors-champs l’Amérique de George W. Bush que les personnage traversent sans jamais vraiment s’y confronter.
L’autre problème du film, c’est d’avoir casté Steve Carell. Soyons clairs : je trouve que c’est un acteur de comédie épatant, et je soutiens sans réserve ses incursions dans un registre plus sérieux 2 ; sauf lorsque ces deux aspects se télescopent. La séquence du train, où nos trois vétérans, hilares, partagent leurs souvenirs avec un jeune soldat, m’a fait littéralement décrocher du film. L’espace d’une scène, c’est le personnage débile que l’acteur incarnait avec brio dans les deux Anchorman d’Adam McQuay qui ressurgit, détruisant de fait la crédibilité de son jeu pour le reste du métrage. À côté de ça, même si la performance de Nicholson dans The Last Detail reste inégalée, celles de Bryan Cranston et Laurence Fishburne n’ont pas à rougir de la comparaison.

 

Pentagon Papers de Steven Spielberg, avec Meryl Streep et Tom Hanks

Le film se situe dans au début des années 70, mais nous ne sommes pas dupes : un président paranoïaque et roublard, la liberté de la presse menacée, le sempiternel combat entre le droit à l’information et le secret d’état, c’est de l’Amérique contemporaine qu’il s’agit. Avant de plonger au cœur du sujet, permettez-moi une petite digression. J’ai grandi dans les années 80, au milieu des blockbusters réalisés ou produits par Steven Spielberg. Ce qui explique à la fois une affection particulière pour le cinéma populaire étasunien et un rejet viscéral des premières velléités historicistes du réalisateur. Non, définitivement, l’idée saugrenue de filmer la Shoah en utilisant les codes du cinéma d’entertainment, ou la représentation du Débarquement en mode « la guerre comme si vous y étiez », très peu pour moi. Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts avant que je ne me laisse à nouveau séduire par son cinéma, jusqu’à ce que Lincoln enfonce le clou : Steven Spielberg est devenu un grand cinéaste américain, dont le regard compte autant que celui de Clint Eastwood.
Ce qui fascine d’emblée avec Pentagon Papers, c’est que le réalisateur refuse avec malice les codes du film de presse à l’américaine. Point de grandiloquence ici, le Post de Meryl Streep, dirigé par Tom Hanks, démarre la course au scoop avec une bonne longueur de retard, et n’entre réellement dans la danse qu’après les déboires judiciaires du New York Times. Et avec un tout petit peu d’opportunisme, pour ne rien gâcher. Spielberg préfère travailler en marge de son sujet, et s’il représente la contre-culture et les mouvements contestataires sous forme de clichés un tantinet agaçants, il accorde une place essentielle à ses personnages féminins. Évidement, il y a celui de Meryl Streep, qui va devoir s’émanciper de son temps et de son milieu en affrontant les fantômes de son père et de de son mari, leurs encombrantes amitiés politiques et une armada de conseillers mâles qui entendent lui dicter sa conduite. Comme on s’y attend, le personnage de Tom Hanks va l’accompagner dans cette quête, mais pas en la prenant par la main. C’est sa patronne, il travaille pour elle en tant que rédacteur en chef, et cette situation ne lui pose pas le moindre problème tant que chacun tient sa place. Et pour le coup, ce n’est pas l’expression du machisme de l’époque, bien au contraire : son personnage est le seul à ne pas la ramener à sa condition de femme, et s’il est aussi dur avec elle au début du film, c’est seulement qu’elle n’assume pas – encore – son rôle de patronne de presse. On passera sur quelques maladresses, comme cette stagiaire qui l’accompagne dans les couloirs du tribunal et l’admire un peu trop ouvertement, ou sur la haie d’honneur féminine qui l’escorte à sa sortie. Rappelons tout de même que le film a été mis en images plusieurs mois avant que l’affaire Weinstein n’éclate, au cas où des bien mal-pensants souhaiteraient taxer Spielberg d’opportunisme. Et cinématographiquement, quelle riche idée de nous avoir épargné la traditionnelle scène de procès. C’est dans la salle de rédaction que les journalistes apprendront, de la bouche de l’unique rédactrice du journal, le verdict de la Cour Suprême. Une scène magnifique, du même tonneau que la conclusion de Lincoln.

 

Fireworks, d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi

Tiens, puisque je parlais plus haut de découvrir un film à travers le prisme d’un autre, la sortie française de Fireworks résume assez bien le chemin de croix de l’amateur de cinéma japonais contemporain. Entendons-nous bien : je n’ai rien ni contre le film d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi, ni contre son distributeur, la société Eurozoom qui a toujours été un grand défricheur dans ce domaine. Le problème, c’est qu’ils doivent se sentir bien seuls. Très à la mode au mitan des années 90, avec en fer de lance les œuvres de Kitano et du studio Ghibli, on constate, vingt et quelques années plus tard, que le vent a tourné. Le cinéma Coréen l’a progressivement supplanté dans le cœur des distributeurs – et donc, des spectateurs –, et aujourd’hui, on se retrouve dans une situation pour le moins embarrassante : le seul cinéma japonnais qu’on peut voir sur grand écran est totalement déconnecté de ce qui se passe là-bas. Pour limiter les risques, les distributeurs misent sur les vieilles gloires festivalières qui, à l’exception du prolifique Kiyoshi Kurosawa, n’ont plus grand-chose d’intéressant à dire sur leur époque et leur pays. Vous trouvez que j’exagère ? Sérieusement, Naomi Kawase a-t-elle fait un bon film depuis l’envoûtant Shara ? Le nombrilisme kitanienne intéresse encore quelqu’un ? Doit-on réduire l’animation japonaise au moralisme takahatien, qui, depuis quelques années, a contaminé le cinéma de son coreligionnaire et celui des « héritiers » du studio Ghibli, Mamoru Hosoda en tête ?
Vous allez me dire, c’est la dure loi de la distribution : si on met de côté les cinématographies qui rapportent (en gros, le francophone européen et l’étasunien), le nombre de créneaux qui restent pour le tiers-monde du septième art (Amérique du sud, Asie, Afrique, Europe) est sacrément limité et incite à la prudence. Résultat des courses, la poignée de doux-dingues qui s’intéresse au cinéma japonais d’aujourd’hui n’a plus qu’à se tourner vers le marché de la vidéo. Mouais, sauf que là aussi, c’est un peu la misère. À l’exception des pachydermes sus-cités, peu de films originaux sortent chez-nous, et pas forcément dans les meilleures conditions. Non, franchement, pour avoir une idée de la production récente, il vaut mieux sortir son dico et traverser la Manche ou – et dieu sait que ça me fait mal de le dire – se rabattre sur le téléchargement illégal.
Mais revenons à nos moutons. À ma grande surprise, j’ai découvert dans Les Cahiers du Cinéma 3 que Fireworks était en fait le remake d’un téléfilm des années 90, encore très populaire au pays du soleil levant. Mieux, la séquence centrale du métrage, celle de la gare où les rêves adolescents viennent se fracasser sur la réalité du monde adulte, est une reprise plan par plan de l’original. Voilà. Comment, c’est tout ? Oui, sauf que ce n’est pas la première fois : il y a deux ans, j’ai découvert que le très sympathique Hana et Alice mènent l’enquête de Shunji Iwai, distribué par… Eurozoom, évidement, était en fait le prequel d’un film live de 2004, les deux actrices d’origine prêtant leurs voix aux doubles animés de leurs personnages. Inutile de préciser qu’il n’est jamais sorti chez nous, du moins légalement, et qu’il apporte un éclairage et une profondeur essentiels au film de 2016.
Sinon, bien qu’un cran en dessous de Your Name, Fireworks travaille avec bonheur les même thématiques, celles de la confrontation du temps réel aux « autres temps », qu’ils surgissent du passés ou, comme ici, qu’ils appartiennent aux chemins non empruntés du présent. Et croyez-moi, c’est autrement plus passionnant que la nostalgie réactionnaire du dernier Miyazaki 4.

Un peu de merchandising :

Connaissez-vous les univers joyeusement vénéneux de Bertrand Mandico ? En attendant avec une impatience folle la sortie en salle de son premier long-métrage le mois prochain (voir bande-annonce ci-dessous), et d’ici à ce qu’un éditeur nous propose une belle édition d’Hormona que j’ai lamentablement raté il y a deux ans, c’est le moment idéal pour se plonger dans ses premières œuvres. Pour une somme modique, vous pouvez acquérir un double DVD malicieusement appelé Mandico in the Box qui renferme, sinon son âme, au moins quelques aspects de sa personnalité déjantée. Les courts-métrages du réalisateurs sont d’une beauté proprement foudroyante et ouvrent tout un tas de portes dérobées sur l’autoroute de la cinéphilie mainstream. Bref, Mandico in the Box, c’est indispensable – et toujours disponible chez l’éditeur, Malavida, ce qui ne saurait durer !

Prochainement sur cet écran :

 

1 Toute ressemblance avec un fanzine moribond consacré au cinéma de genre n’est bien évidement pas fortuite pour un sou.
2 Il est épatant dans le Foxcatcher de Benett Miller, aux côtés de Channing Tatum et Mark Ruffalo.
3 Les Cahiers du Cinéma n°740 – janvier 2018, p.43. Sur le foisonnement du jeune cinéma japonais, on se reportera à l’état des lieux dressé par Stéphane du Mesnildot dans le n°715 (octobre 2015).
4 C’est ce qu’on appelle l’art de se faire des ami-e-s !

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Bilan de l’année 2016 (1) http://enrevenantducinema.fr/2017/01/08/bilan-de-lannee-2016-1/ http://enrevenantducinema.fr/2017/01/08/bilan-de-lannee-2016-1/#comments Sun, 08 Jan 2017 18:53:10 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2157

Chères lectrices, chers lecteurs, merci de nous rejoindre pour cette première remise des prix ERDC 2016 ! Quel bonheur, quelle joie incommensurable de vous retrouver sur ce blog après une si … Lire la suite...

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stage

Chères lectrices, chers lecteurs, merci de nous rejoindre pour cette première remise des prix ERDC 2016 ! Quel bonheur, quelle joie incommensurable de vous retrouver sur ce blog après une si longue absence. Pour être parfaitement honnête, j’avais perdu le goût. Oh, pas celui d’écumer les salles obscures, on ne se refait pas, mais celui d’écrire sur le cinéma. Allez, n’en parlons plus, une nouvelle année pleine de promesses cinéphiles commence, quelle meilleure occasion de reprendre la plume ? Je sens qu’une question vous taraude : qu’est-ce que c’est, les prix ERDC ? Eh bien, il s’agit de dresser le bilan de l’année 2016 sous la forme d’une…

— « Guillaume ? C’est toi qui parles tout seul ?
— Ah, mon Baptiste ! Quelle merveilleuse surprise !
— Ouais… Et puis c’est pas comme si tu m’avais demandé de venir…
— N’empêche, ça me fait rudement plaisir de te voir !
— Moi aussi, moi aussi… Et sinon, tu peux me dire ce qui se passe, là ?
— Ben, c’est la cérémonie de remise des prix ERDC. C’était écrit sur ton invitation.
— (…) D’accord, mais plus précisément, c’est quoi cette histoire de remise de prix ?
— Ben, c’est pour marquer la fin de l’année cinématographique. Faire le bilan, quoi.
— Tu pouvais pas te contenter d’un top ten, comme tout le monde ?
— Euh, ouais, mais tu vois, mon bilan est un peu plus compliqué que ça. Et puis bon, aligner une liste de films, comme ça, en les sortant de leur contexte… J’veux dire, déontologiquement parlant, tu m’as compris, quoi. Et franchement, le côté cérémonie, ça fait classe, non ?
— (…) Et pourquoi tu m’as demandé de venir au juste ? Parce que soyons clair, ce truc-machin de remise de bidules, ça n’est que ton avis à toi, hein, pas celui de la rédaction du site !
— Oui, oui, on est d’accord, c’est juste mon avis personnel à moi que j’ai. Mais pour la forme, vaut mieux être deux. Ça fait moins cheap
— (soupir) Et je dois faire quoi du coup ?
— Ah, mon Baptiste, ton enthousiasme me va droit au cœur ! T’inquiète, j’ai tout préparé, tu suis mes instructions et ça va le faire ! »

 

animation

Catégorie « Meilleur film d’animation »

Ah, l’animation ! Encore trop souvent considérée comme un simple « truc pour les mômes », c’est pourtant un formidable moyen d’expression pour toucher aussi bien les adultes que…

— « Euh, t’es sérieux, là ? Tu vas nous pondre une intro’ pour chaque catégorie ? Et juste pour me faire une idée, t’en as prévu combien au juste, de catégories ?
— Euh… dix.
— (…) Dix ? Comme dans top dix ?!
— Ouais, je vois où tu veux en venir. C’est plus compliqué que ça, en fait. Y’a aussi des mentions spéciales, quelques hommages, et pis parfois y’a des ex-æquo, et…
— Nan, mais c’est bon, j’ai compris. On en a pour des plombes, quoi. C’est qui, les nominés dans ta catégorie animation, du coup ?
— On dit : « c’est qui les nommés ». Alors, les nommés sont : Tout en haut du monde, Hana et Alice mènent l’enquête, Kubo et l’armure magique, Ma Vie de Courgette et Louise en hiver. Là, c’est à toi.
— (…)
— L’enveloppe, là…
— Ah oui. Bon, alors, and the winner is, roulements de tambours pendant que je décachette… Euh, tu as dû te tromper, là… Non ? T’es sûr ? (…) Bon, ben le vainqueur, c’est tous les cinq. Faudrait que je prenne deux minutes pour t’expliquer le principe d’une remise de prix… »

N’en déplaise à mon coreligionnaire, comment voulez-vous départager nos cinq lauréats ? Car oui, chères lectrices, chers lecteurs, 2016 fut une année exceptionnelle pour le cinéma d’animation.
Dans Tout en haut du monde, Remy Chayé nous propose de suivre Sacha, une jeune aristocrate Russe du XIXe siècle qui part à la recherche de son grand-père explorateur disparu alors qu’il s’attaquait au pôle nord sur un magnifique navire de sa conception. La forme surprend, les dessins intégralement composés sur ordinateur ne présentant que des aplats de couleurs, sans les contours. Le récit, forcément initiatique, est un formidable appel à l’aventure qui emprunte autant aux Voyages Extraordinaires de Jules Verne qu’aux récits de Shackleton. Sobre, parfois cruel, bouleversant, le film rappelle avec bonheur qu’on n’a pas toujours besoin de verser dans la surenchère et le fantastique pour tenir nos chères têtes blondes – et leurs parents – en haleine.

Hana et Alice mènent l’enquête, du japonais Shunji Iwai, pointe du doigt les faiblesses de la distribution des films asiatiques en France. Si ce long-métrage à l’esthétique particulière1 peut se suffire à lui-même, il s’agit en fait du prequel d’un film live tourné en 2004 par le réalisateur, hélas invisible chez nous puisque jamais distribué en salle ou édité en vidéo. Les deux actrices d’origine, qui ont bien grandi depuis, prêtent leurs voix aux personnages animés, et avoir vu le premier film décuple le plaisir du spectateur2. Toujours est-il qu’Hana et Alice… nous entraîne avec délicatesse dans le sillage de deux adolescentes japonaises à peu près comme les autres. Un autre genre de récit de voyage, donc, avec ses joies, ses peines, ses difficultés insurmontables et ses moments en apesanteur. Un pur délice.

Si nous restons au pays du soleil levant avec notre troisième lauréat, c’est des États-Unis que nous vient Kubo et l’armure magique, traduction plus qu’approximative de Kubo and The Two Strings du studio Laïka. Approchez, petits et grands, approchez ! Venez donc, que tonton Guillaume vous raconte une merveilleuse histoire ! Il était une fois Travis Knight, un fils-à-papa comme on les adore en Amérique et comme on adore les détester par chez nous. Mais attention, hein, je ne vous parle pas d’un trust fund baby lambda, mais du fiston au co-fondateur de Nike. « Alors mon petit Travis, qu’est-ce qui te ferait plaisir pour noël ? » « Papa, je veux un studio de cinéma d’animation ! » Et j’arrête tout de suite de me moquer parce que le studio en question, Laïka, c’est ce que les États-Unis nous ont proposé de mieux dans le domaine depuis quoi… Pixar ? Jugez plutôt : Coraline (2009), d’Henry « L’Étrange Noël de mister Jack, c’est moi ! » Selick, le plus que recommandable L’Étrange pouvoir de Norman (2012) et le « un petit peu moins réussi, mais quand même » Boxtrolls (2014). Restait donc au patron du studio à faire ses preuves derrière la caméra. Fidèle à la stop-motion, mais en la combinant avec les dernières innovations en matière prise de vue, le film est déjà un vrai régal visuellement parlant. À une époque où les grands studios ne jurent plus que par l’animation informatisée « en 3D », on n’insistera jamais assez sur la capacité de l’animation en volumes à stimuler l’imagination et à donner – sans jeux de mot – corps aux personnages. Surtout que là, et sans dénigrer le moins du monde le savoir-faire d’Aardman ou du film que j’évoquerai ensuite, la technique atteint un niveau de maîtrise proprement incroyable. Le tout au service d’une histoire de famille passionnante et originale qui ne cède jamais à la facilité. C’est une des forces des productions Laïka : ne pas sous estimer l’intelligence de son public cible sans toutefois verser dans l’animation « pour les parents qui viendront avec leurs mômes comme alibi » chère à la concurrence.

Retour en France – en passant par la Suisse, c’est une coproduction –, mais toujours en stop-motion avec Ma Vie de Courgette de Claude Barras, tiré d’un roman de Gilles Paris et scénarisé, entre autres, par Céline Sciamma. J’ai été pour le moins surpris par l’accueil glacial que lui a réservé Les Cahiers du Cinéma où Joachim Lepastier reprochait au film son manque de prise de risques. C’est oublier un peu vite que le métrage s’adresse d’abord à des enfants de 7 ans et qu’il aborde des sujets aussi difficiles que la mort et l’enfance abandonnée. Alors oui, les personnages sont stéréotypés et tout finit par rentrer dans l’ordre, mais j’ai envie de dire : tant mieux. Pour en avoir discuté avec des spectateurs en sortie de salle, Ma Vie de Courgette a le mérite de toucher adultes et enfants, et d’amorcer entre eux des discussions pas toujours évidentes. Mais le film va largement au-delà de son sujet, que ça soit dans l’infinie délicatesse de son traitement, toujours à hauteur d’enfant comme le soulignent les choix esthétiques, et toujours équilibré entre le rire – le policier victime de bombes à eau – et l’émotion – la mort hors-champs de la maman de Courgette, le retour sur les lieux drame. Et puis entendre Les Bérus et une reprise de Noir Désir dans un film, on dira ce qu’on veut, ça fait toujours quelque chose…

Et pour clore cette année exceptionnelle, Louise en hiver de Jean-François Laguionie, nous raconte les aventures d’une vieille dame qui se retrouve toute seule dans une ville balnéaire fantôme après avoir raté le dernier train de la saison. Un récit en partie autobiographique puisque les flash-back dans l’enfance du personnage sont tout droit issus des souvenirs du réalisateur, âgé de 78 ans. Un film sur les cycles de la vie et sur la vieillesse qui, n’en déplaise à une partie du public, a l’intelligence de prendre son temps, dans tous les sens du terme. Cette langueur permet à l’imagination du spectateur de vagabonder entre les scènes et de superposer ses propres souvenirs à ceux de Louise. Ainsi, et sans jamais l’imposer, le film nous invite à réfléchir sur notre propre rapport au temps.

— « Euh, en parlant de rapport au temps, ça serait peut-être pas mal d’accélérer le mouvement si tu ne veux pas qu’on y passe la nuit…
— « Oh, l’autre ! Je lui parle de langueur et…
— C’est quoi, ta catégorie suivante ?! »

 

06-mademoiselle

Catégorie « Retour en grâce »

S’il arrive souvent de retrouver de mauvais acteurs aux génériques de bons films, c’est beaucoup plus rare de voir un réalisateur médiocre sortir de son chapeau un diamant. Bon, d’accord, en fait, ça n’est pas si rare que ça, mais c’est un foutu déchirement de l’admettre. Prenez David Fincher, par exemple. Il m’a fallu un bon moment pour dépasser ma mauvaise foi et admettre publiquement que sa carrière est devenue passionnante depuis Zodiac. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à détester cordialement ses premières œuvres, Seven et Fight Club en tête. Mais comme je ne sais plus quelle publicité nous l’a matraqué dans les années 80, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Mademoiselle est un des plus beaux films que j’ai vu cette année, et Dieu sait si j’ai du mal avec Park Chan-wook. Que voulez-vous, c’est la faute aux Cahiers du Cinéma et à cette satanée politique des auteurs. Si j’étais tombé dans Positif à l’époque, croyez-moi, ça m’aurait grandement facilité la cinéphilie. J’ai découvert le réalisateur coréen en 2003 avec Old Boy qui m’est littéralement resté en travers de la gorge. Oh, pas au niveau de la virtuosité, je vous rassure : impossible de ne pas reconnaître les immenses qualités de mise en scène du bonhomme. La fameuse scène dite : « si j’avais un marteau » est proprement époustouflante. Mais le film a provoqué chez moi une forme de rejet quasi-physique. Je l’ai trouvé profondément et intrinsèquement malsain. Attention, hein, je ne parle pas du propos – celles et ceux qui me connaissent peuvent témoigner, je ne suis pas du genre à m’effaroucher devant la première déviance venue –, mais de son traitement que j’ai trouvé pour le moins complaisant et ambigu. Et s’il y a bien une chose que j’ai retenue au cours de mon parcours cinéphile, c’est que si un film vous met mal à l’aise sans que vous ne puissiez vous raccrocher à quoi que ce soit – second degré, naïveté ou même complaisance mercantile –, c’est qu’il y a un problème. J’ai donc immédiatement rangé le sieur Park dans la catégorie « trop louche pour être honnête » et depuis, j’ai soigneusement évité sa filmographie. Jusqu’à Mademoiselle, donc. Pour quelle raison ai-je rompu un pacte tacite vieux de 13 ans avec moi-même ? Un faisceau de circonstances, votre honneur. Une irrépressible envie de cinéma asiatique sur grand écran, déjà. Le harcèlement de certain-e-s membres de mon entourage et un article dans les Cahiers. Et l’affiche, que je trouve magnifique à une époque où c’est de plus en plus rare… Bon, d’accord, le film passait à trois cents mètres de chez moi et j’avais une place gratuite à utiliser.

Construit en trois actes qui correspondent à trois points de vue différents sur la même histoire, j’ai eu peur d’être tombé dans ce que j’appelle affectueusement un « film de petit malin », où la construction narrative et les inévitables twists mènent le spectateur par le bout du nez afin de cacher la médiocrité de la mise en scène ou du discours. Mais j’ai vite compris que cette architecture était au service de la richesse et de la profondeur du film. Chaque partie semble à la fois indépendante et indissociable à l’ensemble, un véritable exploit qui s’explique par l’attention minutieuse et égale que le réalisateur accorde à chacune. Le premier acte est d’un classicisme bluffant, le second d’une sensualité enivrante et le troisième, forcément violent et ironique, vient clore ce beau conte cruel de la plus belle des manières. Un véritable travail d’orfèvre, mais toujours au bénéfice du spectateur. J’en connais un qui va devoir réévaluer la filmographie de Park Chan-wook, moi…

— « Baptiste… Baptiste ? C’est à toi, là…
— (…) Hein ? Oh, excuse-moi, je m’étais assoupi. Faut que je fasse quoi, maintenant ?
— Faut que tu lances la séquence suivante… »

 

toni

Ces films que nous avons ratés…

Chaque année, des dizaines de films finissent dans les oubliettes de l’histoire. Pour la plupart, c’est un acte volontaire, politique même, qui s’inscrit dans une démarche salutaire de refus de la médiocrité. D’autres, hélas, sont victimes des aléas de la vie. Trop longs, trop loin ou victimes collatérales de plannings impossible, ils ne méritaient pourtant pas ce traitement indigne de leur stature. Si vous le voulez-bien, recueillons-nous un instant en leur mémoire…

Aquarius, de Kleber Mendonça Filho
Toni Erdmann, de Maren Ade
Un Jour avec, un jour sans, de Hong Sang-soo
Rester vertical, d’Alain Guiraudie
Ma Loute, de Bruno Dumont
Le Bois dont les rêves sont faits, de Claire Simon
Brooklyn Village, d’Ira Sachs
L’Ornithologue, de João Pedro Rodrigues

Nous ne vous oublierons pas. Enfin, je me comprends…

— « Ça y est ? C’est fini ? Je peux rentrer me coucher ?
— Euh, disons que tu peux faire une pause. C’est la fin de la première partie.
— (…) Première sur combien… ?
— Mmmm… sur trois… ? »

1 Il a été entièrement réalisé en rotoscopie, une technique qui consiste à filmer des acteurs en motion-capture, puis à « redessiner » par-dessus avant d’intégrer le résultat sur des fonds dessinés traditionnels. On obtient ainsi des mouvements très réalistes. Cette technique fut notamment popularisée par Ralph Bakshi, avec un rendu assez impressionnant – les Nazgûls de son Seigneur des Anneaux sont autrement plus inquiétants que ceux de Peter Jackson !
2 Et ne venez pas me demander de vous expliquer comment faire pour le voir, hein, bande de sacripants !

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Monstres Academy de Dan Scalon http://enrevenantducinema.fr/2013/09/17/monstres-academy-de-dan-scalon/ http://enrevenantducinema.fr/2013/09/17/monstres-academy-de-dan-scalon/#respond Tue, 17 Sep 2013 14:05:02 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=1748 Retour en grâce ?

Après l’inutile Cars 2 et le disneyen Rebelle, on pensait la singularité de Pixar définitivement perdue, phagocytée par la firme aux grandes oreilles. Et c’est … Lire la suite...

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Monstres-academyRetour en grâce ?

Après l’inutile Cars 2 et le disneyen Rebelle, on pensait la singularité de Pixar définitivement perdue, phagocytée par la firme aux grandes oreilles. Et c’est exactement ce que Dan Scalon nous fait croire pendant une bonne partie de ce film qui relate la rencontre entre les deux héros du sympathique Monstre et Compagnie (2001). On déroule le cahier des charges : Jacques « Sulli » Sullivan est fainéant mais il fait peur alors que Bob Razowski est un bosseur sans la moindre prédisposition naturelle. Leurs disputes incessantes finissent par les faire virer du cours pour devenir « terreur d’élite » et ils doivent s’associer aux pires étudiants du campus pour être réintégré, en gagnant un concours opposant différentes fraternités. Ils apprennent à travailler ensemble, deviennent potes et finissent par remporter l’ultime épreuve qui entérine leur retour en grâce. C’est bien fait, techniquement et narrativement mais comment dire… on nous l’a servi tellement de fois,cette histoire ! Trois grains de sable vont heureusement venir gripper la machine.
En arrière, toute. Le film s’ouvre sur un magnifique court-métrage en forme de mea-culpa, Le parapluie bleu de Saschka Unseld qui renoue avec les fondamentaux du studio : manipuler la réalité pour raconter des histoires aux enfants. On y retrouve avec bonheur la simplicité de Luxo Jr (1986), cette petite lampe de bureau qui devint la mascotte du studio, en suivant les aventures de deux parapluies qui tombent amoureux. La maîtrise technique est époustouflante mais a l’intelligence de se faire oublier pour mettre en avant l’émotion. Et surtout ça s’adresse autant aux enfants qu’aux adultes.
Revenons à Monstres Academy. Bob découvre que Sulli a trafiqué la dernière épreuve du concours pour que son équipe l’emporte. Oh, pas de manière égoïste, il a compris la leçon, mais pour que son pote ne se ridiculise pas. Poussé à bout dans l’engueulade qui suit, il lâche que quoi qu’il fasse Bob ne sera jamais une terreur parce qu’il n’en a pas les qualités nécessaires. Et à ce moment du film les spectateurs savent que c’est vrai. L’entendre ne lui suffit pas et Razowski doit s’en rendre compte par lui-même. Pas par orgueil mais parce que depuis l’école maternelle, atteindre cet objectif est toute sa vie. Il franchit alors une porte vers le monde des humains et c’est la catastrophe attendue : non seulement il ne fait pas peur, mais il éveille la curiosité d’une troupe de scouts qui risquent de découvrir le secret des monstres. Par dessus tout, il se rend compte que quoiqu’il fasse il ne pourra jamais devenir ce dont il rêve. Poursuivi par les humains, il se réfugie au bord d’un lac, rejoint bientôt par Sulli qui va s’efforcer de convaincre son ami – et c’est seulement à partir de ce moment qu’il est question d’amitié entre les deux personnages – que devenir adulte c’est adapter ses rêves d’enfant à la réalité du monde. Le réalisateur emporte le morceau avec cette séquence doublement introspective, comme si à travers leurs personnages les petits gars de Pixar faisaient amende honorable auprès des spectateurs. Cerise sur le gâteau, la représentation du paysage nocturne est une prouesse technique sans précédent mais elle passe totalement au second plan par rapport à l’histoire racontée. S’ensuit un clin d’oeil canaille qui renoue avec l’impertinence originelle du studio. Un camp de vacance au bord d’un lac, ça ne vous rappelle rien ? Eh oui, Scalon a le toupet de se la jouer Vendredi 13 pour un cours magistral de cinéma d’épouvante où Sulli suit scrupuleusement les indications de son comparse pour terroriser les humains et rentrer chez eux. A défaut de faire peur, Bob se révèle un tacticien hors-pair. Si vous cherchez à expliquer le rôle d’un réalisateur à votre môme, c’est le moment !
Et le film de se terminer sur un coup de génie, une véritable déclaration d’amour au public. Oui, Monstres Academy est un prequel qui utilise des personnages et un univers déjà porté à l’écran, incarnant en cela l’incapacité d’Hollywood à se renouveler. Sauf que dans un ultime pied de nez, alors que tout le monde s’attend à ce que les personnages réintègrent la fac après leur exploit, ils se font virer irrémédiablement. Qu’importe, s’ils ne peuvent pas rentrer à la Monstres, Inc par la grande porte ce sera par la petite, en commençant comme simple agents d’entretien. J’en aurai presque pleuré devant l’écran, tiens. Malheureusement, les spectateurs ont boudé le film, lui préférant l’attendu – dans tous les sens du terme – Moi, moche et méchant 2. Mauvaise pioche, les mioches ! J’espère sincèrement que Pixar continuera sur cette voie et que Monstres Academy inaugure une réelle remise en question du studio qui reste, quoi qu’on en dise, ce qui se fait de mieux en animation étasunienne à gros budget.

Monstres Academy, de Dan Scanlon, EU, 2013 avec les voix de Billy Crystal et John Goodman (en vo, of course !)

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Morceaux Choisis : Le Congrès http://enrevenantducinema.fr/2013/08/02/morceaux-choisis-le-congres/ http://enrevenantducinema.fr/2013/08/02/morceaux-choisis-le-congres/#respond Fri, 02 Aug 2013 10:33:33 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=1719

L’oeil d’Hollywood

Avec son nouveau film, le réalisateur de Valse avec Bashir soulève une question essentielle à l’ère de la dématérialisation, des effets numériques et des blockbusters aseptisés : quelle place … Lire la suite...

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Le-Congres-01

L’oeil d’Hollywood

Avec son nouveau film, le réalisateur de Valse avec Bashir soulève une question essentielle à l’ère de la dématérialisation, des effets numériques et des blockbusters aseptisés : quelle place restera-t-il à l’émotion dans le cinéma de demain ? Et qu’elle soit posée par un réalisateur issu de l’animation a de quoi aiguiser notre curiosité cinéphile. Au début de ce Congrès, nous suivons Robin Wright dans son propre rôle d’actrice à la quarantaine bien entamée, écartelée entre une carrière moribonde et l’attention que requiert son fils atteint d’une maladie dégénérative. Son agent, Al (Harvey Kietel, brillant), lui expose froidement la situation : elle n’est plus jeune, elle n’est plus bankable à force d’avoir refusé des projets, et soit elle accepte sans moufter l’ultime proposition du studio Miramount – contraction savoureuse des bien réels Miramax et Paramount –, soit elle fait définitivement une croix sur sa carrière et son niveau de vie. La vérité nue, brutale, et s’il se permet de l’annoncer sans ménagement c’est qu’il est devenu au fil du temps un membre à part entière de la famille. Acculée, l’actrice accepte cet entretient de la dernière chance et se retrouve face à Jeff (Danny Huston), archétype de l’executive de studio hollywoodien. Ce dernier lui propose de se faire numériser contre une somme d’argent largement suffisante pour mettre sa famille à l’abri du besoin. En contrepartie, elle renonce à exercer son métier de comédienne, et laisse le studio gérer la carrière – et les retombées financières – de son double à la jeunesse éternelle ; le tout étant re-négociable au bout de 20 ans. Devant l’écran, le cinéphile a du mal à en croire ses oreilles… en moins d’une demi-heure, Folman vient non seulement d’aborder de front la douloureuse question du vieillissement des acteurs, mais aussi de tacler le vieux fantasme des studios de se débarrasser non seulement des acteurs et de leurs agents, mais aussi – en filigrane – de celui qui les dirige. En un mot, d’évacuer la moindre composante artistique et créative du processus cinématographique. Ouch.
De guerre lasse, Robin Wright accepte le deal et se retrouve vêtue d’un justaucorps blanc au centre d’une machine barbare tapissée d’appareils photos. Dans une cabine, hors champs, un directeur de la photographie prestigieux reconverti en simple technicien, est chargé d’enregistrer les émotions de l’actrice. Le personnage d’Harvey Kietel assiste à la scène, en simple spectateur. L’opération débute et le technicien scande les indications de jeu dans son micro : « souriez… riez… soyez triste… pleurez… ». Assommée par ce déferlement déshumanisé, coincée dans cette sphère aux milles yeux inquisiteurs, elle ne parvient pas à donner ce qu’on lui demande et menace de tout laisser tomber. Al prend alors le relais et évoque leur première rencontre, d’une voix douce et affectueuse. L’actrice sourit, la machine la photographie. Il enchaîne sur des souvenirs moins agréables, le jour où elle a appris la maladie de son fils. Nouveau plan sur l’actrice, qui est passée à la tristesse avant de fondre en larmes. La machine la photographie. Cette séquence est bouleversante. Le monologue d’Harvey Kietel touche par sa simplicité et sa sincérité, et de notre côté de l’écran, on ne peut s’empêcher d’inverser les rôles. L’actrice devient spectatrice, l’agent devient réalisateur, et le technicien et sa machine s’effacent progressivement devant la puissance de l’émotion suscitée. Ce que Ari Folman nous dit à ce moment-là, c’est que technicité et procédés ne devraient jamais se substituer à la raison d’être primitive du cinéma : nous faire ressentir des émotions à travers une histoire, qu’elle soit documentaire ou fictionnelle.
Nous en sommes à peine à la moitié du métrage, qu’on se demande déjà si on ne serait pas devant le film de l’année. Hélas, après une transition très réussi entre prises de vue réelle et animation – en sniffant une substance chimique, il fallait oser ! – Folman fait basculer Le Congrès de l’anticipation à la science fiction, sacrifiant les promesses évoquées plus haut au profit d’une soupe futuriste qui, quelle que soit la pertinence de son propos, ne parviendra jamais à effacer la frustration du spectateur. Pire, il se crée un réel déséquilibre entre les deux parties du film qu’on ne peut s’empêcher de mettre sur le dos du changement de procédé. Quel gâchis. Reste tout de même cette séquence magistrale qui, sans porter de jugement péremptoire, pose une vraie réflexion cinéphile sur l’avenir du septième art. Et on se dit que Robin Wright, qui n’a jamais été aussi belle, a accompli un sacré parcours depuis Santa Barbara !

Le Congrès (The Congress) de Ari Folman, EU-Israël-Pologne, 2013 avec Robin Wright, Harvey Kietel, Paul Giamatti, Jon Hamm…

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Animation, poule mouillée ! http://enrevenantducinema.fr/2011/01/27/animation-poule-mouillee-2/ http://enrevenantducinema.fr/2011/01/27/animation-poule-mouillee-2/#comments Thu, 27 Jan 2011 15:31:43 +0000 http://enrevenantducinema.free.fr/?p=209 Une vie de chat de Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli
Arrietty, le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi

Quel est le point commun entre un « long-métrage » sorti du studio … Lire la suite...

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Une vie de chat de Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli
Arrietty, le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi

Quel est le point commun entre un « long-métrage » sorti du studio Folimage et la dernière production Ghibli? Pas les moyens mis en œuvre, c’est sûr! A ma gauche, un des plus prestigieux studio japonais qui a fournit une tripotée de merveilles et généré un tel engouement mondial que le géant américain Disney en a tremblé. A ma droite, euh… ben le seul studio pérenne au pays du joyeux amateurisme…



Ah ça, en France, des pointures on en a toujours eu! Des Grimault, Laloux, Ocelot, Chomet, Satrapi, j’en passe et des meilleurs… Ce qui manque par contre, c’est une industrie digne de ce nom pour les soutenir et promouvoir leurs œuvres. Un exemple du décalage ? Si au Japon Isao Takahata est considéré comme un immense réalisateur alors qu’il ne dessine pas, le grand René Laloux a perdu une bonne partie de sa vie à expliquer aux financeurs sceptiques que ce n’est pas parce qu’il ne jouait pas des crayons en personne qu’il ne pouvait pas réaliser un film d’animation. Résultat des courses, sa filmographie ne compte que trois longs-métrages et onze courts en 30 ans d’activités, le tout réalisé dans des conditions souvent misérables…
Le développement du studio valentinois Folimage a donné énormément d’espoirs à la profession : fondé par Jacques-Rémy Girerd en 1981, il se compose aujourd’hui d’une branche longs-métrages, une filière séries télé, une autre dédiée aux courts, plus une école, une association d’accompagnement pédagogique, et même un festival. C’est ce qui s’appelle combler un vide. Côté courts et séries, rien à redire : de la qualité et de l’audace, et c’est d’ailleurs par ce biais que Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli ont fait leurs premières armes. Par contre, les longs-métrages déçoivent. Dès La prophétie des grenouilles (J-R Girerd, 2003), quelque chose n’allait pas : trop moralisateur et trop dense, comme si le réalisateur avait voulu tout mettre dans son film. Depuis, l’ouverture aux autres réalisateurs tarde à venir : Jacques-Rémy Girerd prévoyait qu’un film sur deux serait signé de sa main mais on en est plutôt à trois sur quatre : Mia et le Migou a suivi, et Tante Hilda est prévu pour 2013. S’intercale donc Une vie de chat cette année, qui tient d’ailleurs plus du moyen métrage que du long vu qu’il a fallu lui accoler un court métrage – fort sympathique, d’ailleurs – pour atteindre les 1h10 réglementaires.
Le film commence très bien : le graphisme est original et plaisant, l’animation est au cordeau et les enjeux scénaristiques proposés particulièrement intéressant : une petite fille qui ne parle plus depuis le décès de son père, une mère policière surchargée de boulot qui la délaisse pour courir après l’assassin de son mari, un chat qui ne parle pas et se comporte comme un chat – il lui ramène des lézards de ses escapades nocturnes et mène une double-vie avec un monte en l’air à l’ancienne particulièrement attachant… Bref, du tout bon. Jusqu’à l’apparition des méchants… Et là, c’est le drame : ils sont caricaturaux, mal doublés et surtout bénéficient de dialogues affligeants ; on nous promettait des clins d’œil à Tony Soprano et on se retrouve avec du sous-Audiard qui tombe à plat. Et a qui doit-on ce ratage? C’est pas mon genre de balancer mais Jacques-Rémy Girerd est crédité ici en qualité de producteur et de dialoguiste… On sent que le patron de Folimage reprend progressivement la main sur le projet : une poursuite sur les toits qui n’en finit plus et débouche sur de l’ennui – un comble en regard de la durée du film ! – et l’abandon de toute originalité au profit d’un conformisme qui frise le ridicule : le cambrioleur et la flic se mettent à la colle, la petite fille reparle mais son discours est tellement stupide et infantile qu’on en regrette son mutisme, et tout rentre dans l’ordre établi avec une facilité déconcertante.
Étrangement, les auteurs sont conscient du problème qu’ils justifient par la tranche d’âge visée, à savoir 7-8 ans. Mauvaise réponse, surtout si l’on regarde de plus prêt leurs courts-métrages, d’une belle et franche audace, eux – voir Les tragédies minuscules. Il semble que l’espace de liberté au sein de Folimage ne concerne pas les longs-métrages. Quel gâchis.

Pour la seconde partie de cet article, je sais que je prends des risques: les productions estampillées Ghibli bénéficient d’un tel engouement qu’il devient presque dangereux de les critiquer. Pas plus tard que le semaine dernière, une connaissance me lance sur le sujet « T’as vu le dernier Ghibli? C’était trop bien! Super, les personnages, l’histoire, et la musique? Dès que je suis sorti de la salle, je suis allé acheter le CD! Il va repasser en VO bientôt mais je vais retourner le voir avant tellement c’est bien… » j’ai lâchement remis mon argumentaire dans mon pantalon, sentant poindre chez mon interlocutrice ce que j’appelle le « syndrome Amélie »*. Maintenant que la tornade est passée, je peux dire ce que j’ai sur le cœur.
Il y a trois catégories de films chez Ghibli : ceux signés Miyazaki – que j’aime énormément – , ceux signés Takahata – que je n’aime pas du tout – et ceux signés par les auteurs tiers. Là, c’est au cas par cas et Arrietty m’a franchement laissé sur ma faim. Comme pour le film de Folimage, cela partait bien : on retrouve les thématiques que Hayao Miyazaki, qui signe ici le scénario, avait développées dans son dernier long-métrage: un environnement enchanteur qui peut se transformer en piège dangereux et surtout une histoire d’amour contre-nature. Si les enfants de Ponyo sur la Falaise permettaient à l’auteur de Mon voisin Totoro d’aller au bout de son propos sans risquer de choquer ses contemporains, les protagonistes d’Arrietty sont des adolescents, ce qui implique d’aborder, même de manière fugitive, les enjeux sexuels de leur relation. La découverte de leurs sentiments donne lieu à deux scènes d’une grande beauté, tout en pudeur et en retenue. Mais c’est bien tout : très vite, l’histoire rattrape le film et nous impose un classique affrontement entre une méchante matérialiste aux motivations confuses et des gentils qui croient encore en leurs rêves d’enfants, eux. La magie née de la différence d’échelle de deux univers qui se télescopent fait place à des péripétie classiques et convenues. Tout rentre laborieusement dans l’ordre : Arrietty rencontre un amoureux potentiel à sa taille, la famille est sauvée grâce au jeune garçon qui devient… son ami (!), et même le chat, jusque là délicieusement ambigu, devient gentil! Il n’y a guère que la touchante scène d’adieu qui renoue quelque peu avec les enjeux de départ, mais c’est bien peu et surtout beaucoup trop tard…
On regrette l’audace et la maîtrise narrative qui caractérisaient Kiki la petite sorcière, film un peu oublié du studio qui traite du passage de l’enfance à l’age adulte. Miyazaki allait même jusqu’à mettre en scène la première relation sexuelle de son héroïne en la maquillant habilement en cascade à vélo. Du grand art…

*Lors de sa sortie en 2001, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, gigantesque escroquerie fomentée par un publicitaire opportuniste, a été ce qu’on peut appeler un produit particulièrement fédérateur. Lorsque quelques critiques ont timidement montré le caractère fascisant du film, ses défenseurs ont fait bloc et sont devenus extrêmement agressifs. Une amie de l’époque est allée jusqu’à me dire : « Tu n’as pas le droit de ne pas aimer Amélie Poulain », et il a fallu plusieurs mois avant de pouvoir aborder ce sujet sans risquer un mauvais coup.

Une vie de chat de Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli, Fr, 2010.
Arrietty, le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi, Japon, 2010.

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Le royaume de Ga’Hoole – la légende des gardiens de Zack Snyder http://enrevenantducinema.fr/2010/11/14/pas-tres-chouette/ http://enrevenantducinema.fr/2010/11/14/pas-tres-chouette/#respond Sun, 14 Nov 2010 21:34:27 +0000 http://enrevenantducinema.free.fr/?p=105  

Pas très chouette…

Zack Snyder me fait penser au David Fincher des débuts : un petit malin à l’égo sur-dimensionné qui fait son beurre en pillant allégrement les restes … Lire la suite...

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Pas très chouette…

Zack Snyder me fait penser au David Fincher des débuts : un petit malin à l’égo sur-dimensionné qui fait son beurre en pillant allégrement les restes d’un cinéma de genre moribond. Son unique titre de gloire est d’avoir indirectement relancé la carrière de George A. Romero*. Après avoir réussit l’exploit de transformer l’excellent comics Watchmen en blockbuster aseptisé, il prend ses fans à contrepied en réalisant un film d’animation destiné au jeune public.

Alors voilà : il était une fois deux frères adolescents, l’un plutôt doué et rêveur, l’autre moins doué et donc un poil frustré. Ils se font tous deux enlever par une armée de « Sangs Purs » qui les enrôle de force. L’objectif de ces bons aryens est simple : dominer les autres communautés du coin. Alors que le frère frustré embrasse sans regrets le côté obscur, l’autre parvient à s’enfuir, rencontre en chemin des compagnons pittoresques et rejoint les héros des contes de son enfance. Parce qu’en fait ces personnages légendaires sensés protéger les faibles, les « Gardiens de Ga’Hoole », ben ils existent en vrai! Après une formation express, il part à la filoche, bla-bla-bla, mon dieu, c’était un piège, patati-patata, combat fratricide, les gentils gagnent même si bon, la guerre, c’est mal, et on finit sur une belle ouverture pour le second volet de la franchise.
Soyons clair, ce n’est pas du côté de l’histoire qu’il faut chercher un semblant d’originalité… Non, l’argument massue du film, c’est que ses protagonistes sont… roulement de tambours… des chouettes et des hiboux!!! Mais attention, pas des versions anthropomorphisées à la Disney ; on sent qu’il y a eu des recherches sérieuses en pré-production pour coller à la réalité, ce que m’a confirmé une spectatrice hululophile. L’animation de nos amis strigidés est particulièrement réussie et on y croirait presque – sauf qu’ils portent des casques en métal et écrivent des livres. Par contre, Snyder à beaucoup plus de mal à ancrer leur environnement dans le réel : prédateurs nocturnes oblige, la quasi totalité du film se déroule à l’aube et au coucher du soleil. On a ainsi droit à une succession de paysages de carte postale avec des effets de lumière très aboutis mais qui auraient plus leur place dans un jeu vidéo.
Au niveau narratif, le réalisateur tente de respecter les règles érigées par l’oncle Walt en accolant au héros une ribambelle de sidekicks archétypaux : un excentrique qui s’oppose à un vieux briscard, le tout formant l’inévitable duo comique du film, un faible qu’il faut protéger et même un serpent rose (!). Mais tout ce petit monde se retrouvent rapidement évincés de l’histoire quand apparaissent les Gardiens du titre, des guerriers majestueux qui subjuguent immédiatement le jeune Soren. Côté mise en scène, on retrouve les travers habituels du réalisateur : une fascination pour la violence qu’il tente ici de justifier maladroitement – je vous rappelle que c’est un film pour enfants – et l’abus de mouvements de caméra compliqués et de ralentis qui nuisent fortement au rythme du long métrage.
Plus dérangeant, on retrouve l’idéologie un peu rance déjà présente dans 300 et Watchmen, à savoir la nécessité sociale d’une élite guerrière pour encadrer les faibles – qui du coup sont bien incapables de se défendre par eux-même vu qu’ils sont à priori relégués aux autres tâches de la communauté. Ainsi, dans la pratique, les « Gardiens de Ga’Hoole » ressemblent étrangement aux « Sangs Purs » qu’ils combattent, la cruauté en moins. Je ne sais pas vous, mais moi, une société comme ça, ça me fait froid dans le dos…

* Réalisateur de

      La nuit des morts-vivants

(1968), de

      Zombie

(1978) et du

      Jour des morts-vivant

(1985), George A. Romero a dû attendre le succès commercial du remake de

      Zombie

réalisé par Zack Snyder en 2003 pour qu’un studio accepte enfin de financer le quatrième volet de sa saga. Alors que l’original proposait une critique acerbe de la société de consommation,

      L’armée des morts

n’est qu’un film d’horreur de plus où les questionnements politiques ont disparu au profit de l’action. Comble de l’hérésie, les zombies version Snyder courent comme des lapins écossais…

Le royaume de Ga’Hoole – la légende des gardiens (Legend of the guardians – the owls of Ga’Hoole) de Zack Snyder, EU, 2010.

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